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Dans le cadre de mes recherches sur les claviers d'accordéon, j'ai déjà créé un système qui me convient : le clavier Pythagoras. J'utilise ce clavier sur un de mes accordéons, et je lui trouve plusieurs avantages : il est complet (les 12 notes en basse en poussé et en tiré) et léger, ainsi que relativement intuitif.
Pourtant, on pourrait le trouver limité sur plusieurs points : impossibilité de jouer en même temps une basse et des accords, ambitus limité à une octave pour chaque registre (mais ambitus de 3 octaves en tout, 7 voix possibles à gauche).
Le système Pythagoras est à mon sens un bon système pour des accordéons qui restent légers : il me semble le meilleur compromis possible entre le nombre réduit d'anches à la main gauche (qui permet de garder la dynamique propre au jeu en "poussé/tiré") et la totalité des notes. Pourtant, pour un instrument plus gros, on pourrait souhaiter quelques améliorations supplémentaires. C'est ainsi que, pour mon gros accordéon à quarts de tons, j'avais la possibilité d'une main gauche plus développée. J'ai opté pour le système Darwin, inventé par Marc Serafini. Je le trouve sataisfaisant sur plusieurs points, mais après un peu de réflexion et d'usage, j'ai réalisé qu'en faisant quelques modifications à partir du principe de base restant le même, on peut finalement proposer un clavier de main gauche encore meilleur que le Darwin.
Un certain nombre d'accordéonistes ne se sentent pas satisfaits par le modèle de 18 basses qui circule énormément en ce moment, et à juste titre : c'est un modèle qui donne une main gauche très lourde, alors qu'il n'est toujours pas complet (il faudrait pour cela 24 basses) ; de plus, créé à partir d'un empilement de strates de nouvelles basses (d'abord le modèle 8 basses, puis 12 basses, puis 18), il aboutit à un système complètement illogique, alors qu'il aurait fallu réaménager les rangées déjà existantes en en ajoutant de nouvelles, ce qui n'a pas été fait car le accordéonistes ne voulaient pas s'embêter à "tout réapprendre".
Marc Serafini est le luthier qui a bien voulu fabriquer les instruments aux différents claviers dont les plans sont exposés sur ce site. À l'heure où la plupart des luthiers ne sont pas intéressés par la création de réelles nouveautés du fait d'un carnet de commandes déjà bien rempli, et peut-être d'une petite routine, il est salutaire de trouver quelqu'un intéressé par l'innovation. Lui-même conscient des limites du standard 18 basses actuel, il a proposé un nouveau schéma de main gauche : le clavier Darwin. Vous trouverez ici un peu de publicité, et ailleurs les plans des systèmes qu'il fabrique (j'ai d'ailleurs proposé depuis 2009 que mes systèmes de claviers soient aussi présentés sur cette page. Ce n'est toujours pas le cas pour l'instant, mais je ne désespère pas : que sont quelques années à l'échelle de l'évolution des espèces !). Je le reproduis ici à partir de l'image qui est sur son site :
Dans ce schéma, les basses, les plus proches du soufflet, sont représentées par les grosses notes seules, et les intervalles de quintes, à hauteur moyenne, par les couples de notes. Le sib et le mib se trouvent donc au niveau des genoux, et le sol# et do# au niveau du menton. Ce n'est donc pas évident sur ce schéma, mais on perçoit donc que les notes montent en même temps que les boutons (le la se trouve sur le bouton au-dessus du sol, etc.)
C'est ce système que j'ai commandé par défaut, sans trop y avoir pensé, pour la main gauche de mon accordéon à quarts de tons (avec une petite variante, consistant à remplacer la quinte des accords par la fondamentale demi-augmentée, pour avoir aussi les 24 quarts de tons à la main gauche). Il possède un certain nombre d'avantages :
C'est donc un système intéressant, qui possède bien des qualités. On peut se dire que les accordéonistes d'instruments bisonores, lorsqu'ils souhaiteront continuer la logique actuelle, du 8 au 12 basses, puis du 12 au 18, pour passer à 24 basses, feraient mieux d'opter pour un système tel que celui-ci, qui a le bénéfice de la cohérence, plutôt que d'ajouter encore une rangée à leur système complètement désarticulé. Mais il n'est pas certain du tout que cela corresponde à l'évolution à venir de l'accordéon, puisque cela leur demanderait de tout réapprendre à la main gauche, et certains accordéonistes préfèrent encore continuer à jouer toute leur vie sur un système mal organisé que tout réapprendre une bonne fois.
Voyons maintenant quelles insuffisances possède le Darwin, et de quelle manière celles-ci pourraient être dépassées par un autre système.
Avant de passer aux critiques importantes, je voudrais écarter deux critiques possibles de ce système, dont je ne tiendrai pas compte ici, en expliquant pourquoi :
Ces deux questions étant écartées, passons maintenant aux remarques plus importantes quant à la conception du Darwin en lui-même. Elles porteront sur trois points : l'ergonomie de la main, la cohérence sur la totalité du clavier, et la difficulté de créer certaines combinaisons dans les extrémités du clavier. Ces trois remarques nous fourniront le cahier des charges pour le prochain modèle de clavier : le Lamarck.
Lorsque j'avais conçu le modèle Pythagoras, j'avais fait attention à une question d'ergonomie : sachant que le petit doigt, qui est en bas, ne peut pas se porter loin, et que les autres doigts comme annulaire, majeur, index, le peuvent plus facilement, il fallait s'organiser de sorte que les boutons qui plongent vers le soufflet ne soient pas ceux du bas, correspondant au petit doigt, mais bien ceux du haut, accessibles principalement par le majeur et l'index. D'où une loi d'ergonomie très simple : plus les rangées s'approchent du soufflet, plus elles doivent monter.
Sur ces deux schémas, vous voyez l'ergonomie de la main, avec une lettre pour chaque doigt (Index, Majeur, Annulaire, "O" pour Auriculaire), puis l'organisation des rangées qui devrait s'adapter à cette ergonomie (comme le fait le système Pythagoras).
Sur ce troisième schéma, vous voyez l'organisation ergonomique du clavier Darwin. On perçoit tout de suite que l'organisation des boutons ne répond pas à la règle d'ergonomie que j'avais fixée plus haut : puisque les rangées descendent au fur et à mesure qu'elles s'approchent du soufflet, c'est au petit doigt qu'il revient d'attraper des boutons qui lui sont difficiles d'accès. D'où une torsion de la main, et un certain nombre de difficultés (pouvant aller de l'inconfort à la tendinite...).
Pourquoi ne m'étais-je pas rendu compte de ce défaut alors que j'avais conçu mon Pythagoras en prenant ce critère en compte ? Pour une raison futile, mais non négligeable : la manière de dessiner les plans de main gauche. Pour nous représenter la main gauche, nous avons tous différents schémas corporels intégrés : certains la dessinent en miroir horizontal, vertical, etc. Je me souviens que lorsque je donnais mes plans de clavier à Marc Serafini ou à un ami accordéoniste, ils étaient obligés de les re-dessiner pour les comprendre selon leur propre manière de se représenter la main gauche. Or, quand j'ai regardé le plan du Darwin au moment de la commande, je ne l'ai pas re-dessiné selon mon propre schéma : je pensais donc que les boutons descendaient en s'approchant du soufflet, alors qu'en fait ils montaient. Un peu de diversion, et voilà une erreur qui nuit à mon jeu pour quelques années. Donc un petit conseil lorsque vous comparez des plans d'accordéon : vérifiez bien qu'ils sont orientés selon votre propre manière de vous représenter l'accordéon.
Pour quelles raisons ce clavier de main gauche est-il conçu de cette manière ? Il faudrait demander à son concepteur, mais je pense que c'est simplement pour avoir une proximité avec la construction des accordéons chromatiques. Les accordéons chromatiques ont beaucoup plus de boutons à la main gauche, des basses près du soufflet, et les accords vers l'extérieur : c'est une organisation qui est adaptée à un jeu de pompe (type basse-accord/basse-accord/basse-accord, ou basse-accord-accord/basse-accord-accord), mais qui se révèle compliquée dès que l'on essaie de jouer d'autres types figures à la main gauche.
Ces considérations nous mènent donc vers la piste d'un premier changement dans le modèle Darwin : faire monter les rangées qui s'approchent du soufflet, et non plus descendre.
Pour des raison d'ergonomie également, je propose un second changement : situer les basses dans les rangées les plus extérieures, et les notes ou quintes dans les rangées plus proches du soufflet. Ce second changement me paraît aussi plus simple du point de vue de l'ergonomie, puisque le petit doigt peut plus facilement atteindre les basses si elles sont placées à cet endroit que si elles sont sur les rangées les plus intérieures, et il se trouve que ce sont les basses que nous utilisons plus souvent que les notes aigües.
Une seconde limite du modèle Darwin, qu'il est possible d'améliorer sur un autre modèle, tient dans la cohérence quand on progresse d'un rang à un autre. On pourrait attendre d'un schéma de clavier entièrement rationnel qu'il y ait le même écart d'une rangée à une autre, quelle que soit la rangée que l'on passe. Or, on constate que ce n'est pas le cas sur le modèle Darwin : si l'écart de la rangée 1 à 2 et de la rangée 3 à 4 est d'une quarte, donc de deux tons et demi, en revanche, l'écart de la rangée 2 à 3 est d'une quinte, soit de trois tons et demi.
Imaginons que nous ayons mis toutes les notes des quatre rangées à la même hauteur, cela signifie qu'il existe comme une "frontière interne" à l'intérieur du clavier, car la logique de progression n'est pas entièrement homogène d'un bout à l'autre de l'instrument.
Au contraire, on pourrait demander à un schéma entièrement logique de progresser exactement de la même manière d'une rangée à une autre, partout sur l'instrument. Il faudrait donc que l'écart entre les rangées 2-3 soit le même que l'écart entre les rangées 1-2 et 3-4.
Une autre difficulté du Darwin tient dans les grands écarts qu'il oblige à faire pour pouvoir jouer certaines notes ou certains intervalles. Ainsi, les notes fa#, do# et sol# sont placées en haut du clavier, et les notes sibet mib en bas ; que ce soit sur la rangée des basses ou sur celle des notes seules.
par conséquent, si nous voulons jouer en même temps un mib et un lab (ou sol#), il faut vraiment faire le grand écart avec les doigts. Ce problème se pose dès que l'on veut faire des accords en composant soi-même les notes, ou simplement jouer des parties mélodiques assez rapides où ces notes sont nécessaires.
Bien entendu, ce problème n'est pas propre au modèle Darwin, puisque tout instrument, quel qu'il soit, dès qu'il propose un grand nombre de boutons, obligera à faire de grands écarts. Mon Pythagoras ne pose pas ce problème car tous les boutons tiennent dans la main sans avoir à la déplacer, mais c'est justement parce qu'il n'en a que 12. Ce problème n'est donc pas propre au schéma Darwin, mais commun à plusieurs instruments comportant un grand nombre de boutons.
Une solution connue dans le monde du chromatique consiste à utiliser des rappels, c'est-à-dire que la même note se trouve placée à différents endroits du clavier pour pouvoir servir à plusieurs combinaisons, selon les autres notes que l'on a besoin de jouer sur le moment. Dans le type d'instrument qui nous intéresse, la solution des rappels a un inconvénient, qui est qu'elle alourdit considérablement l'instrument car elle multiplie le nombre de boutons. Même si les différents boutons pour une même note utilisent toujours la même anche, il faut en revanche élaborer un mécanisme assez complexe pour que la même anche puisse être activée par différents boutons.
Quelle solution alternative serait possible ? Une piste consisterait à exploiter la différence entre les rangées 1-2 et 3-4 pour panacher certaines notes qui se trouvent dans les extrémités. Par exemple, si l'on utilise un registre dans lequel les basses ont la même hauteur que les notes, pour avoir 24 notes servant à composer des accords, et si l'on met le sol# en bas du clavier sur deux rangées, et en haut sur deux autres, alors celui-ci se trouvera à deux endroits différents. Il sera alors possible d'aller le chercher en haut ou en bas du clavier, selon les besoins.
Au contraire, on voit que le système Darwin met toutes les notes à la même hauteur : puisque les notes et les basses sont à la même hauteur, il y a deux sol# en haut du clavier, et aucun en bas.
Cela nous mène donc à une nouvelle exigence pour la main gauche que nous souhaitons avoir : il faudrait que les notes situées à l'extrémité haute ou basse du clavier (sol#, do#), se trouvent à la fois en haut et en bas du clavier. Ainsi, si le sol# est en bas du clavier sur la rangée des basses, il devra être en haut sur la rangée des notes aiguës.
Récapitulons les différentes exigences que nous avons formulées à partir des lacunes constatées sur le clavier Darwin :
Comment construire un clavier prenant en compte ces différentes exigences ? En trois mouvements.
La première étape consiste à renverser le clavier pour l'adapter aux deux premières exigences. On passe donc du schéma de gauche à celui de droite :
La deuxième étape consiste à remettre l'écart des rangées 2-3 dans le même axe de progression que celui des rangées 1-2 et 3-4. Pour cela, il suffit de descendre d'un bouton toutes les notes aigües.
Sur ce schéma, l'écart est le même d'une rangée à une autre pour toutes les rangées :
On constate que ce schéma reprend la logique de base du Darwin : des gammes par ton sur chaque rangée, et chaque rangée est espacée d'une quinte. Il est même plus Darwinien que Darwin, puisque l'espacement d'une quinte n'était pas respectée entre les rangées 2 et 3 dans le modèle Darwin, alors qu'il l'est entre toutes les rangées ici. Outre le renversement pour raisons d'ergonomie, le changement principal résulte dans le décalage vers le bas des deux rangées intérieures.
Au lieu que la basse et la note aigüe soient dans le même alignement en quinconce, la note est un bouton plus bas que la basse. Étant donné que les boutons sont décalés de 45 degrés d'une rangée sur l'autre, cela a pour conséquence que la note se trouve exactement à la même hauteur que la basse. Par exemple, si l'on part de la basse de Fa et que l'on cherche la note fa correspondante, on la trouve pile en face, à deux rangées d'intervalle.
Sur la clavier Darwin, le fa aigu se serait trouvé là où se trouve le sol aigu de ce schéma, c'est à dire dans l'alignement des boutons en quinconce.
Ce décalage d'une rangée par rapport à une autre constitue la minuscule innovation qui change beaucoup de choses :
Examinons ce second point. Quel que soit le clavier, à la main gauche il est toujours difficile de jouer la note sur la rangée la plus extérieure (cf. le bouton en rouge sur le schéma suivant, difficile d'accès, car le doigt le recouvre) si nous avons déjà le doigt sur le bouton qui se trouve pile en face, à deux rangées d'écart. Ce problème ne pourra pas disparaitre, quel que soit l'agencement que l'on choisit pour les notes.
Par contre, il est possible de faire en sorte d'avoir à cet emplacement des notes que l'on ne joue pas souvent. Toutes les autres notes de la gamme peuvent servir à faire un quelconque intervalle. La même note que la basse peut bien sûr servir pour faire quelques effets sur l'octave, mais la plupart du temps il est redondant de jouer en note aigüe la note que l'on fait déjà en basse : cela n'apporte rien d'un point de vue harmonique. Donc si l'on place cette note, peu utile, en face de la basse, le problème d'ergonomie présenté ici se posera moins souvent que si l'on met une note harmoniquement importante (une tierce, par exemple).
Sur le clavier Darwin, c'est la septième mineure qui se trouve avoir cette place, et cela me gène très souvent lorsque je veux jouer un accord comprenant une septième, tout en maintenant la fondamentale à la basse : cela m'oblige à tordre le poignet. Ou alors, je suis obligé d'aller chercher la fondamentale parmi les notes aigües, ce qui m'empêche d'avoir la basse et les notes aigües en même temps : toutes les notes sont présentes, mais l'ergonomie ne permet pas d'appuyer sur les bons boutons en même temps...
Donc ce décalage d'une rangée par rapport à une autre apporte à la fois un gain de cohérence ou homogénéité dans le clavier et une avancée ergonomique.
La dernière chose qui nous reste à faire consiste à harmoniser les notes des extrémités verticales du clavier pour en avoir à la fois en haut et en bas, ce qui nous évitera les grands écarts. Pour cela, une solution simple : sur le clavier modifié que nous avons créé, nous pouvons prendre les basses de Sol# et Do#, et de les déplacer du haut du clavier vers le bas.
On retrouve ainsi la forme de "pavé" que l'on avait avec le modèle Dawin original. Ce déplacement est conforme à la logique du clavier, puisque le Sol# se trouve un sous le Sib, or il est un ton en dessous, de même pour le Do# et le Mib.
Sur le Darwin, les Sol# et Do# se trouvaient tous les 4 à l'extrémité haute du clavier :
Ici, le grand écart n'est plus obligatoire, elles sont réparties harmonieusement en haut et en bas du clavier, ce qui permet, lorsque l'on est sur un registre où les basses ont la même hauteur que les notes aigües, d'aller les chercher là où c'est le plus pratique : soit vers le haut, soit vers le bas :
Nous sommes donc parvenus, à terme, à un modèle de clavier, le Lamarck, qui repose sur les principes de départ du Darwin (une gamme par ton sur chaque rangée, les rangées espacées d'une quinte), mais qui résout trois de ses défauts en apportant quelques changements :
Le schéma définitif est le suivant :
Écrivez-moi (un mail) pour me donner votre avis et vos corrections
http://malomorvan.free.fr